C’est un film qui sort des sentiers battus, puissant par son sujet et sa réalisation, qui vient d’être récompensé aux Oscars, dont la cérémonie s’est déroulée hier aux Etats-Unis : il met en scène le huis clos d’un groupe de femmes mennonites ( communauté proche des Amish refusant le progrès et la modernité), victimes d’abus sexuels systémiques, qui se rassemblent pour essayer de trouver ensemble des solutions pour leur survie dans la communauté.
Il est issu d’une histoire vraie, et adaptation du roman « Ce qu’elles disent » de Miriam Toews, qui raconte l’histoire de femmes d’une communauté religieuse fermée de Bolivie dans les années 2000, qui subissent des viols à répétition après avoir été droguées. Il s’agit, selon la communauté, de démons qui abusent d’elles. Alors que les hommes ont été reconnus coupables et emprisonnés, les femmes se regroupent pour décider de leur avenir. Trois options s’offrent à elles : ne rien faire, rester et se battre, ou partir. La première option est éliminée d’emblée.
Ces femmes se rassemblent pendant 48h dans une grange pour partager leur vécu et décider collectivement d’une issue de secours à partir des deux choix restants.
Elles sont incultes, ne savent ni lire ni écrire, et ne savent même pas situer géographiquement sur une carte. Cependant elles sont imprégnées d’une foi mêlée de croyances superstitieuses, qui bloquent leur capacité de réflexion et de décision. Elles sont ainsi persuadées qu’elles seront excommuniées si elles quittent la communauté, et donc ne pourront pas accéder au Paradis céleste.
Le film met en scène le dialogue poignant de ces femmes, d’âges différents, toute génération confondue, écartelées entre l’impératif de préservation vitale et l’impératif spirituel qu’elle juge tout aussi important.
Les scènes sont entrecoupées de flash backs sur des séquences difficiles à soutenir émotionnellement, avec, en filigrane, la tentation du suicide pour sortir de l’enfer.
Chacune présente ses arguments, dans des partages d’expérience poignants, tournés vers la possibilité d’un avenir meilleur, ou fermé à toute possibilité d’évolution et de fatalisme désespéré.
C’est une assemblée démocratique qui se met en place, où chaque voix compte, malgré les oppositions frontales et avec le souci de trouver des voies d’apaisement pour toutes, quel qu’ait été son vécu. Un seul homme est présent dans cette assemblée, invité à recueillir leur propos : lui-même traumatisé par le suicide de sa mère qui avait essayé d’affronter une autre communauté analogue sans y parvenir, il est le seul suffisamment instruit pour recueillir la parole de ces femmes, et ill’accomplit dans une posture de recul, d’humilité et d’émotion contenue.
Il devient, par les feuilles qu’il noircit, mais aussi par le regard d’amour qu’il porte sur l’une de ces femmes, porteur d’un message d’espérance pour l’avenir.
Le film n’a pas tranché dès le départ sur l’issue du conflit, c’est bien le dialogue, avec ses avancées, ses contradictions, ses reculs, qui culmine finalement sur une « vision rédemptrice » qui rallie tous les points de vue, qui est au cœur même du processus de changement.
Les rôles sont admirablement interprétés, avec des actrices extrêmement convaincantes, Rooney Mara, Claire Foy et Jessie Buckley composent un casting féminin magistral.
Ce qu’il faut retenir de ce film, est que la violence et la vengeance ne peuvent pas être des réponses face au crime, le plus abject qui soit.
Sarah Polley met en scène, après avoir été au fond de la souffrance de ces femmes, une voie de rédemption personnelle et collective, qui allie la grâce de la foi dans l’amour, et le refus absolu de toute injustice.
Grâce à elle, on découvre que le levier spirituel pris dans un sens de recherche de justice supérieure, la foi en la capacité de la femme à se saisir de son destin, permettent d’apporter une réponse qui ne concède rien à la violence, et permet de se tourner vers la construction d’un avenir pacifié.
Un film édifiant, admirable, profondément actuel et libérateur, dans tous les sens du terme.
Sabine Faivre, psychologue, auteure de " La vérité sur l'avortement aujourd'hui" et éditorialiste pour Tysol France, Boulevard Voltaire et Wolność.