lundi 12 décembre 2022

Une querelle est apparue récemment sur les réseaux sociaux, concernant le dogme de l’Immaculée Conception.

Une querelle est apparue récemment sur les réseaux sociaux, concernant le dogme de l’Immaculée Conception.

A l’origine de la polémique, un article d’un blog sur « l’obsession sexuelle » de l’Eglise catholique concernant l’immaculée conception et la virginité de Marie, celle-ci sous-entendant, en creux, que la sexualité serait quelque chose d’impur car liée au péché originel.

Ce dogme alimenterait en filigrane toute la conception réductrice, culpabilisante, de la sexualité, développée par l’Eglise, celle-ci associant le sexe au péché, à l’impureté, dont Marie serait fort heureusement exonérée.

L’auteur contesterait ce dogme, pour expliquer que celui-ci n’apporterait rien en réalité à la théologie mariale, qu’il dévaluerait la condition féminine sexuée, et que le seul Saint à honorer serait le Christ, et non sa mère, laquelle serait un simple « outil » de son avènement.

Il y a là des éléments pertinents pour la réflexion, qui ont le mérite de poser sur la table un sujet très sensible dans le contexte actuel : la vision de l’Eglise sur la sexualité, le regard porté sur la femme, et une dichotomie parfaitement schématique et délétère, à laquelle adhèrent malheureusement de nombreux prêtres, entre la Vierge pure d’un côté, épargnée par les vicissitudes du sexe, et la prostituée de l’autre, la femme pécheresse qui aurait succombé aux tentations de la chair, ce haut lieu de perdition. Heureusement pour la deuxième, il lui resterait une option pour assurer sa rédemption, ce serait de se convertir, de se repentir, et de cesser toute compromission charnelle.

Ces deux « entités » résument à peu de choses près ce que certains prêtres, voire l’Eglise et le séminaire, pensent de la femme.

En face, nous trouvons le camp du « bien », c’est-à-dire ceux qui ont bien évidemment la « bonne vision » de la Vierge Marie, c’est-à-dire une femme Vierge, immaculée, et dont il semble qu’elle n’ait même pas vécu de grossesse charnelle.

Sa grossesse serait mystique en quelque sorte, elle aurait conçu et enfanté dans l’Esprit.

Et bien évidemment, il est impensable d’imaginer la Vierge Marie nue, ni enceinte, ni en train d’accoucher. Ceci relèverait de l’indécence, d’un rabaissement proche de l’hérésie, et ce ne serait même pas imaginable. La Vierge doit être représentée vêtue, et seulement vêtue, son corps disparaîtrait sous des plis lourds de son manteau, pour le faire disparaître complètement.

J’ai partagé sur Facebook l’image d’une sculpture de femme nue, en marbre. Il s’agit d’une représentation d’Eve, par un sculpteur américain du XIX e siècle, Hiram Powers. On voit clairement son pubis, lisse, et ses seins, qu’elle recouvre d’une de ses mains. Son autre main est tendue vers son sexe en forme d’interrogation. J’ai illustré la photo par la phrase de l’Ange au moment de l’Annonciation : « ne crains pas, Marie, tu vas concevoir et enfanter un fils ».

Cette publication a immédiatement fait réagir. Il serait impensable de la représenter nue!

Mais pourquoi ? Pourquoi serait-il choquant de montrer le corps par lequel le Christ va naître au monde ?

Et ceci m’a interpellée sur ce qui est au fondement de notre culte marial : serait-il un culte désincarné, spiritualisé à l’extrême, dévaluant par extension toute évocation du sexe, du ventre, de l’utérus, fussent-ils virginaux, et des seins qui pourtant allaitèrent l’enfant ?

Comment avons-nous pu déshumaniser la Vierge Marie, en la privant de ce qui fait et sa féminité et sa maternité ?

Quel rôle a pu avoir le dogme de l’immaculée conception dans cette représentation iconographique déconnectée de l’humanité ?

S’il fallait reprocher quelque chose à ce dogme, ce serait cela : une fausse interprétation née d’une mauvaise compréhension du mystère, conduisant à dévaluer le corps dans son ensemble.

La beauté se trouve dans le regard. Et il se trouve aussi que le corps, créé à l’image de Dieu lui-même, est porteur d’une transcendance. Nier ce corps, finalement, c’est nier la transcendance qui l’habite. En ce sens, par notre regard, nous servons ou desservons l’immaculée conception.

Dire que l’on ne peut pas regarder le corps de Marie, d’une certaine manière, c’est faire offense à l’Immaculée Conception : car s’il y a bien un corps admirable, qui mérite d’être contemplé, c’est celui-ci précisément !

Marie était comblée de grâces, non pas parce que la sexualité lui avait été épargnée, mais parce qu’elle fut le canal par lequel Dieu scella son alliance. Contempler signifie : voir le Ciel.

En contemplant le corps d’une femme vierge, à qui on annonce qu’elle va enfanter de l’Esprit Saint, c’est contempler aussi la beauté de ce mystère avec celle, c’est questionner Dieu, et dire avec elle :

« mais comment cela va-t-il se faire » ?

Cette question mérite d’être posée, c’est d’ailleurs Marie elle-même qui la pose. « Comment cela va-t-il se faire » ? Et personnellement j’imagine que son corps de femme est ému, jusqu’en ses entrailles, d’apprendre qu’il va abriter cet enfant-là.

Il semble donc qu’existe, entre la vision désincarnée de Marie, et la contestation du dogme lui-même, peut-être une troisième voie : celle qui réconcilie le mystère du corps virginal, avec le mystère de la conception divine.

Contempler ce corps, avec adoration, comme on le ferait d’un trésor inestimable, un joyau précieux, appelé à porter le mystère de la vie de Dieu lui-même.

Ainsi, en réconciliant le dogme et l’humanité de Marie dans la contemplation du berceau de son corps, sans doute est-il possible de redonner à la Nativité, à l’Immaculée Conception, sa plus belle traduction.

Sabine Faivre, psychologue éditorialiste pour Tysol, Boulevard Voltaire, Wolność la parole libre et auteure de " La vérité sur l'avortement aujourd'hui".