mardi 3 octobre 2023

CIASE, deux ans après : l’Eglise catholique peut-elle être sauvée ?

On espérait beaucoup du séisme provoqué par la publication du rapport de la commission  indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (CIASE), le 5 octobre 2021, il y a maintenant presque deux ans.

Le rapport Sauvé, intitulé « Les violences sexuelles dans l’Eglise catholique, de 1950 à 2020 », rapport de cinq cents quarante-huit pages, révélait « un phénomène massif longtemps recouvert par une chape de plomb », d’abus sexuels sur mineurs dont le nombre a été estimé à 216 000 victimes entre 1950 et 2020 : abus commis par des prêtres, diacres, religieux ou religieuses. Le nombre des agresseurs sexuels est situé autour de 2900 et 3200, nombre probablement sous-évalué du fait de l’absence d’un recensement exhaustif, soit un ratio de 2,5% à 2,8% de l’effectif des clercs et des religieux depuis 1950. 


Le rapport expliquait que « l’Institution de l’Eglise n’avait pas pris les défense des victimes », qu’elle était « restée trop longtemps centrée sur la protection de l’institution sans aucun égard pour les personnes victimes », que son droit canonique était « gravement défaillant », et qu’elle méconnaissait largement ses « obligations juridiques ».
Ce rapport, que l’on pensait salutaire, a fait couler beaucoup d’encre, en particulier dans l’Académie catholique. Celle-ci a mis en cause la méthodologie et les résultats de l’enquête, et dans les couloirs, nombreux étaient ceux qui accusaient Jean-Marc Sauvé d’être un sous-marin de la franc-maçonnerie.
Acculée, l’Eglise n’a cependant pas eu d’autre choix que de reconnaître sa responsabilité dans la perpétuation de ces abus.  
Après avoir reporté la visite de la CIASE, le Pape avait rencontré le 13 décembre 2021 en audience des représentants de la Conférence des évêques de France.
Une question avait alors surgi : pourquoi le Pape ne reçoit-il pas la commission Sauvé elle-même ?
Comment interpréter ce report, invivable pour les familles de victimes ?
Or deux ans après la publication du rapport de la CIASE, le constat est cinglant : rien n’a bougé, en profondeur, dans l’Eglise. La CIASE, à son tour, est en passe d’être enterrée, tandis que se succèdent  les nouvelles révélations d’abus.
C’est un fait maintenant évident : il y a une étroite connexion entre les échelons de la hiérarchie de l’Eglise catholique dans la protection des prédateurs sexuels, au détriment des victimes.  


Il suffit, pour s’en convaincre, de reprendre le fil chronologique invraisemblable des scandales aux Missions Etrangères de Paris, ayant conduit, sur plus de 10 ans, entre 2011 et 2023, à une véritable mise en danger de la vie d’autrui par la non mise hors d’état de nuire de prêtres prédateurs sexuels.
L’Institution recase sans sourciller ses évêques, prêtres ou cardinaux mis en cause dans des affaires pédo-criminelles ou sexuelles. Tel le Cardinal Ricard, impliqué dans un comportement « inapproprié envers une mineure de 14 ans » ( on parle de caresses qui ont duré 3 ans, traumatisant sa victime à vie ), qui parvient à gravir tous les échelons de la hiérarchie, et qui après des révélations fracassantes, reçoit une « sanction » qui n’en est pas une : ne plus exercer son ministère, « sauf sur son lieu de résidence ». On rirait si ce n’était en réalité tragique.


Les révélations d’abus concernant les communautés nouvelles, elles non plus, n’en finissent pas, avec la multiplication des saisines de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). On ne dénombre pas moins de 35 saisines pour le seul Chemin Neuf,communauté qui compte 2200 membres dans le monde et un patrimoine évalué à un profit annuel, en 2015, de 3 167 193 euros pour un actif total de 28 778 421 euros, issus de dons ou d’opérations immobilières ( Le Point, 30 Juillet 2017 ) : joli pactole pour une organisation dite « à but non lucratif ». Pour les 50 ans de la communauté, et malgré les appels de prudence, tout le gratin épiscopal était présent à l’abbaye d’Hautecombe cet été, dont le Cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille. 


Cette communauté s’est trouvée sous le feu des critiques après la publication de vidéos du nouvel évêque Mgr Veto, sur les pouvoirs de l’exorcisme et l’emprise spirituelle, le rôle du démon dans la genèse des « liens », qu’il nomme « la doctrine du lien avec le démon ».

  
Ce qui ressemble à des doctrines mystico-ésotériques, à des fins de « guérison », qui mélangent des dimensions distinctes, exposant les victimes à repérer des liens « mauvais », qui seraient ceux par exemple de la gestation, des liens familiaux, voire des phénomènes de transmission toxique via les grand-parents….pour ensuite les couper ce lien, jugé diabolique, sous couvert de « délivrance ». 


Le résultat est bien souvent des ruptures familiales délétères, qui génèrent des souffrances terribles et finissent par ancrer un peu plus la division et être source de véritables traumatismes.

 
Quels sont les fondements théologiques de ces pratiques laissées entre les mains d’amateurs, au pire, d’ignorants, qui pavent l’enfer de leurs bonnes intentions ? 


L’Eglise semble avoir décidé de tirer un trait sur les crimes commis au nom de Dieu, et sur les perversions spirituelles commises en son sein, dérives qu’elle n’a su ni voir ni endiguer, et qu’elle continue dans les faits à alimenter par ses nominations, cooptations diverses ou protections. 


Qu’en est-il de l’exégèse au sein de ces communautés dites « nouvelles », qui font face à des scandales à répétition ? Les travaux de relecture sont faits en interne, par les communautés elles-mêmes, et sujettes à mille biais. Au point que l’on a du mal à comprendre comment le Pape a pu réhabiliter la communauté des Béatitudes, lors de son 50e anniversaire, alors que les dérives se sont multipliées en son sein depuis sa fondation et qu’aucun travail solide, global, touchant aussi bien la fondation elle-même par Gérard Croissant, dit « frère Ephraim », que les mécanismes de fonctionnement, de management, ou d’accompagnement psycho-spirituel n’ont été passés au crible.  


Se rappelle-t-on que la communauté a fait l’objet de plaintes en Justice pour pédophilie sur une cinquantaine d’enfants de 4 à 14 ans ? Dans ce cloaque, Pierre-Etienne Albert, frère protégé de la communauté, atteints de troubles psychiatriques et souffrant d’addiction aux psychotropes (Libération, 23 novembre 2011) a reconnu avoir commis des attouchements sur 57 enfants, de 2 à 15 ans, entre 1975 et 2001. En raison des délais de prescription, la Justice n’a retenu « que » 38 victimes…dont l’une fera une tentative de suicide en 1995. 


Quid aujourd’hui des nombreux « gourous » formés à l’école d’Ephraim, et qui continuent à exercer ? 


Quand la nouvelle Présidente de la communauté des Béatitudes, Sœur Anna Katharina Pollmeyer, est capable de dire sur une radio à l’issue de la rencontre avec le Pape en 2023, que le scandale des abus est une épreuve envoyée par Dieu pour la « purification de la communauté », on se pince pour savoir si cette phrase est un délire, une provocation à l’égard des victimes ou quelque chose de réellement pensé, tandis que les enquêtes pour agressions sexuelles et enquêtes canoniques se succèdent, concernant le numéro 2 des Béatitudes, le père Martin de Tours, et le père Dominique Savio, au sujet de dix anciens élèves de l’Internat d’Autrey ( Vosges ), dont deux se sont suicidés (La Croix, 12 janvier 2023).

Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, que visiblement, la communauté n’a pas l’intention d’assumer pour son 50e anniversaire, en distribuant un livre où brille l’absence de positionnement fort sur la réforme du mode de gouvernance, la mise en place de mesures précises pour la protection des victimes, le lien avec la Justice et les instances de réparation, ainsi qu’une mise à plat des pratiques d’accompagnement spirituel. Ne faudrait-il pas dissoudre cette communauté, qui accumule tant de fruits pourris ? 


Autre communauté où le sordide côtoie l’abject, la communauté Saint Jean, qui a rendu public en juin dernier un rapport accablant de neuf-cents pages révélant des abus sexuels systémiques et les dérives de leur fondateur le père Marie-Dominique Philippe.


De son côté, Monseigneur Camiade, évêque de Cahors, est aujourd’hui sous le feu du scandale, pour avoir, avec le soutien de l’actuel archevêque de Montpellier, soutenu un prêtre pédophile contre sa victime depuis environ 10 ans. Interrogé le 24 septembre, celui-ci ne fait pas le lien entre une condamnation pour « agression sexuelle sur mineur », et la pédophilie, selon ses propos rapportés par Médiacités, le 28 septembre 2023.

Monseigneur Camiade parle de « faute », mais se refuse à parler d’acte pédophile. « Tout dépend de ce que l’on met sous ce mot », explique-t-il aux journalistes de Médiacités, lors de la messe dominicale de la paroisse de Catus, le 24 septembre. Et d’insister sur le père Olivier, l’agresseur, « éprouvé par ces révélations »…
Quant au conseil donné à une victime d’abus sexuel, par Monseigneur Turini, ancien évêque de Cahors, de « serrer la main de son agresseur », pour clore l’affaire ( extrait cité dans un tweet du  
journaliste de Médiacités ), on se demande vraiment si nous vivons sur la même planète. Non, apparemment pas. On se demande combien d’années de théologie ont pu conduire à cet abysse de perte de sens moral. 


Monseigneur François Bustillo, évêque d’Ajaccio, créé Cardinal par le Pape François samedi 30 septembre, explique sans sourciller : « la jeune génération que je vois en Corse venir demander le baptême est vierge sur le plan religieux, elle ne se soucie pas des histoires de pédophilie qui secouent l’Institution », selon les propos rapportés par France Catholique, jeudi 28 septembre.
Nous sommes en pleine culture du déni. A voir l’évolution des discours, on peut s’inquiéter de l’avenir de l’Eglise. 


On ne parle même pas des abus de pouvoir, qui sont la zone immergée de l’iceberg dans la lutte contre les abus dans l’Eglise. 


Les abus sexuels sont aujourd’hui sur le devant de la scène : mais en arrière-plan, se tisse un réseau extrêmement dense de complicités induites par la culture du cléricalisme, justement dénoncée par le Pape François. Ce système génère abus de pouvoir, abus spirituel, psychologique, de conscience, dont les principales victimes sont, les plus faibles, prêtres ou laïcs, ceux qui ne peuvent pas se défendre ou qui n’ont pas « les bons réseaux » : bonnes familles de notables ou de la haute bourgeoisie, cercles de fondations diverses, têtes de réseaux triés sur le volet, réseaux de relations internes aux communautés telles l’Emmanuel ou le Chemin Neuf, relations avec les gros donateurs etc. 


Retrouvera-t-on, après avoir enlevé, couche après couche, les mensonges accumulés au fil des Siècles, les accointances avec le milieu de la finance, de la politique et des « gros bonnets », voire même peut-être de la mafia elle-même ou de certains réseaux de corruption, non seulement la barque du Christ, mais son visage même ?Il est bon de se remémorer l’image que Léon Bloy utilisait à l’égard du Christ, dans ses œuvres les plus prophétiques, comme « Le sang du pauvre » ou « Le Pèlerin de l’absolu » : celle d’un Christ souillé, couvert d’immondices, remplissant le cœur de terreur et de révolte. Un Messie piétiné dont plus personne n’attend le retour, tandis que ses « successeurs » se disputent son vêtement. 


Non, certes, son Royaume n’est pas de ce monde là. 


Sabine Faivre psychologue, essayiste et éditorialiste pour Boulevard Voltaire, Tysol France, Deliberatio et Wolność, la parole libre.