Après la venue du Pape François en France les 22 et 23 septembre, et alors que le sujet crucial des abus dans l’Eglise de France n’a fait l’objet d’aucun communiqué, de multiples voix se sont élevées pour alerter sur les risques que ferait courir à l’Eglise de France, un enterrement des situations d’abus, du sort des victimes, et des préconisations de la CIASE.
Car la venue du Pape n’a pas empêché la révélation de nouveaux scandales, révélés dans les médias aux Missions étrangères de Paris, enquêtes judiciaires concernant trois prêtres issus des MEP, dont l’une mettant en cause Mgr Georges Colomb, évêque de La Rochelle. L’ancien supérieur général est accusé d’agression sexuelle et est également visé par une enquête canonique préalable – dont on sait par l’expérience qu’elle est une procédure soumise à de multiples relations de pouvoir et de complicités internes.
Pour preuve, l’enquête canonique menée depuis quatre ans dans l’affaire du curé de Rocamadour, le père Ronan de Gouvello, dont on n’a plus de nouvelles, qui a été envoyé dans une paroisse de Bordeaux et qui, d’après certaines informations, pourrait resurgir plus blanc que neige, les quatre années d’anonymat et de pénitence ayant sans doute fait office d’absolution malgré de graves accusations d’abus sexuels sur personnes vulnérables, qui avaient motivé sa suspension par l’évêque de Cahors.
Tel aussi le cas du père Aymeric de Salvert, qui, alors qu’il se voit expulser, en 2011, de son Diocèse de mission au Japon pour avoir entretenu des relations sexuelles avec un japonais, se voit confier la responsabilité « du foyer vocationnel » des MEP par le même Georges Colomb à son retour à Paris.
En 2015, Monseigneur Barbarin alerte le père Colomb de relations entre le même père de Salvert et un jeune homme en discernement vocationnel ( La Croix, 14 juin 2023 ). Que fait alors le père Colomb ?
Il envoie le prêtre comme chapelain d’une congrégation religieuse féminine en Anjou, puis il est accueilli dans le Diocèse d’Angers, comme curé, en 2017.
Tout ceci n’aura pas empêché la nomination de Mgr Colomb comme évêque de La Rochelle et Saintes, en mars 2016.
Entre temps, tous les évêques acteurs de ces affaires sordides, se retrouvent sous le coup d’enquête canonnique– tandis que les signalements se multiplient au sujet du père de Salvert via les cellules d’écoute des victimes d’abus du Diocèse de Nantes. Celui-ci aurait multiplié les relations sexuelles, auprès de personnes en situation de fragilité. Plus de dix ans plus tard, et un empilement de victimes, le père de Salvert est placé en garde à vue dans le cadre d’une enquête pour « viol aggravé », le 7 avril 2023. En mai 2023, c’est au tour de Mgr Colomb d’être visé dans une enquête pour « agression sexuelle ».
Toujours à Cahors, l’ancien évêque Monseigneur Turini, est aujourd’hui mis en cause pour avoir protégé depuis 2013 un prêtre pédo-criminel condamné pour atteintes sexuelles sur mineurs le 27 juin 2013 par la Justice. Il avait écopé d’un an de prison avec sursis avec mise à l’épreuve de 18 mois, obligation de soin et dédommagement de la victime….à hauteur de 2566 euros, puis recasé par l’évêque sur une autre paroisse. L’affaire est révélée par Médiacités le 17 septembre, 5 jours avant la venue du Pape, reprise par Médiapart.
Monseigneur Turini s’est contenté de renvoyer sur le communiqué du Diocèse de Cahors, où tout le monde se défend évidemment. L’évêque a la main sur le cœur pour clamer sa compassion des victimes et la nécessaire lutte contre les abus…pourtant la vérité est autre, beaucoup plus sordide. La vérité est tout entière dans la condamnation du prêtre par la Justice, faits d’une extrême gravité qui aurait dû entraîner le renvoi immédiat du statut clérical. Mais non, l’évêque explique dans le procès-verbal que les attouchements étaient « mutuels et consentis » - ( on parle bien d’un abus sexuel d’une personne majeure ayant autorité, sur un enfant de 13 ans ) et conseillé à Mickael, la victime, de serrer la main de son agresseur pour clore l’affaire. Ensuite, il recase le prêtre pédo-criminel.
Aujourd’hui, le communiqué du Diocèse de Cahors est un chef d’œuvre d’onctuosité épiscopale : atténuation de la gravité des faits, aucune prise de responsabilité, aucun appel à témoins pour d’autres victimes potentielles.
En attendant, Mgr Turini était tout sourire à la messe du Pape à Marseille, saluant la foule des pèlerins, tandis que le scandale de ces révélations aurait dû immédiatement entraîner sa démission comme archevêque de Montpellier, charge qui lui a été confiée par les mêmes qui étaient au courant.
On pense au calvaire de Mickael, violé à treize ans dans son intimité pour toujours par un prêtre, qui depuis été couvert par toute la hiérarchie : comme le père Aymeric de Salvert, comme le père Le Gouvello, comme le Cardinal Poupard, mis en cause dans une affaire d’exhibition sexuelle devant mineurs, intouchable, et comme tous les prédateurs de l’Eglise, laquelle sait si bien s’arranger avec la vérité quand il faut se protéger. Combien y a-t-il d’autres victimes ? Jusqu’à quand vont durer les protections, complicités internes et silences au sein de cette hiérarchie ?
Qui aura le courage de casser la chaîne des complicités en disant : « ceci ne passera pas par moi », quitte à tout perdre ?
On n’a pas pu s’empêcher, au cours de la messe du Vélodrome de Marseille, de regarder l’arrivée des mitres épiscopales comme une véritable parade de cirque romain, où le sang des victimes, celui dese nfants, des victimes, formait le tapis sur lequel ils posaient leurs pieds.
Et cette phrase d’Antonio Gramsci accompagnait ce défilé : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à paraître et dans ce clair-obscur, surgissent les monstres ».
Sabine Faivre psychologue, essayiste et éditorialiste pour Boulevard Voltaire, Tysol France, Deliberatio et pour Wolność, la parole libre.